[RP] Du sang pour les indomptables

A la faveur d’une nuit sans étoiles, la brise ne laissait dans son sillage qu’une traînée laiteuse recouvrant les toits des faubourgs, et il était désormais impossible d’imaginer que d’immenses parcelles de néant avaient envahi des morceaux de la ville. Mais la louve fuit rarement le froid, et c’est à la recherche d’une autre forme de chaleur que la frêle silhouette s’engouffre dans le bouge. Pour fuir les tensions qui la lient à l’Ours, ce soir, et dont les mensonges sont la cause.

Le rade bouillonne et les effluves qui parviennent à elle ne peuvent mentir sur la tournure déjà prise par la soirée. L’azurée ne prête guère d’attention au quidam et rejette sa cape sur le dossier d’une chaise, laissant à sa crinière d’un noir de bakélite tout le loisir de lui cacher la vue. La noiraude n’a pas besoin de les observer pour s’imaginer les créatures qui se sont aventurées ici ce soir. Peu de femmes, si l’on en croit le brouhaha ambiant, et bien trop de parieurs. Le tintement des écus que l’on jette trop négligemment sur le bois parvient aux oreilles trop attentives qui déjà seraient tentées de les dérober. La chose serait si aisée, en cet instant, mais l’hispanique ne souhaite pas quitter les lieux si tôt. Peut-être lorsqu’elle aura suffisamment bu jettera-t-elle son dévolu sur les malheureux restés trop tard.

D’un geste lent et détaché, presque agacé, l’Andalouse se fait servir à boire avant de laisser la liqueur exploser sur sa langue pour finalement lui brûler la gorge, mettant enfin un terme au froid qui semblait s’être insinué jusque sous ses vêtements, si tant est qu’il ait un rapport avec la neige. L’hématome qui dévorait sa joue semble s’assombrir à mesure qu’il devient moins douloureux, et l’hispanique s’en réjouit, convaincue que les balafres éloigneront ce soir les prétendants et les donzelles en mal d’attention.

Tout comme le bouge, les veines andalouses bouillonnent d’une rancœur difficilement dissimulable, supportant avec mal la trahison tout autant que l’éloignement soudain. La solitude aurait pu être si douce, si seulement sa présence était passée inaperçue aux yeux de tous...

{Olderic}

Le jour ayant décliné laissant place à l'accroissement de l'obscurité et du froid, ajoutant à cela la fatigue due à mes errances incessantes, je m'étais décidé à une pause que j'estimais mériter. Je n'avais pas pour habitude d'occuper ce genre de bouge faisant plutôt office de bordel répugnant, mais le choix était restreint dans ce village.
Je gardais ma cape sur le dos, mon capuchon recouvrait cette partie de mon visage abîmé, je me tenais en retrait de la foule.

J'en étais à me demander ce que je faisais en ce lieu lorsqu'elle fit son entrée. Une grâce singulière malgré l'agressivité de ses gestes, de quoi provoquer la curiosité de l'homme que je suis. Je l'observais de mon coin sombre à l'écart du bruit et du peu de femmes un peu trop dévêtues. Je n'étais pas homme à m'imposer, j'aimais ma tranquillité et avais tendance à respecter celle des autres, mais l'Andalouse venait de m'envoûter par sa seule présence.

Prenant mon courage à bras le corps, je me levais pour m'installer sur un siège adjacent. Je fis alors signe au tavernier de nous servir un verre à tous deux, tout en déposant le solde sur le comptoir. Il y avait sans doute mieux qu'un profond silence comme première approche mais je n'étais pas capable de plus dans l'immédiat.
A voir comment elle accepterait ce verre. Pour ma part, je me contentais de boire le mien en silence, mon regard céruléen perdu dans le vague.

{Linaelle}

La présence masculine, bien que silencieuse, ne met guère longtemps à être sentie par la louve à l'affût. Les esgourdes discernent sans mal la masse qui s'affale dans le siège près du sien, le tintement des écus qui commandent de boire encore. Les doigts ont à peine le temps de reposer le godet vide qu'un autre vient prendre la place laissée vacante. La frêle menotte s'enroule autour de la anse pour ramener la chope jusqu'aux lippes andalouses qui se délectent d'un nouveau nectar.

Les secondes s’égrènent sans que la noiraude ne bouge avant qu'enfin ne retentisse le bruit du godet reposé sur le bois. Une mèche brune est écartée du minois, dévoilant l'ecchymose qui en ceint la joue. Les azurs se posent sur la généreuse présence inconnue pour en toiser la silhouette, tentant de déterminer s'il mérite ou non un remerciement quelconque. L'hispanique jauge, bien que de beaucoup inférieure par sa taille, et apprécie le silence. Nulle tentative d'approche déplorable, pas de regard inquisiteur qui tenterait de discerner les différences entre ses courbes et un morceau de viande. Mis à part l'alcool offert, l'étranger reste à sa place. Les pupilles bleutées tentent de capter leurs semblables qui semblent perdues dans des pensées trop lointaines. Aussi, d'un geste lent, la louve relève la chope et l'incline en direction de l'homme assis à ses côtés.

« Salud.* »

Elle a depuis longtemps renoncé à trinquer en français, les accents qui se traînent derrière les intonations de sa voix finissent toujours par la trahir, et l'Andalouse a cessé il y a longtemps de cela de dissimuler ses origines. Nul besoin de plus, cependant. La noiraude se découvre des élans d'intérêts envers l'étranger qui semble dissimuler sous sa cape bien plus que des racines à fuir, et sa curiosité ne demande qu'à savoir si les azurs qui font écho aux siens seront accompagnés d'une discussion ce soir. Mais loin d'elle l'idée de la lancer.

*Santé