[RP] We'll set the ocean on fire*

{Linaelle}

« I was the match and you were the rock
Maybe we started this fire
We sat apart and watched
All we had burned on the pyre
We were born with nothing
And we sure as hell have nothing now** »


Rien en ce monde n'avait jamais tant attisé l'impatience de la louve que l'agapes qui promettait de se déployer sous le crépuscule de cette fin d'été 1462. Les bras d'Hélios avaient cessés d'éclairer la glèbe de leurs flamboyantes gerbes de lumières, et pour autant l'éther ne cessait d'étuver la chair andalouse. Elle ne s'en importunait pas, l'esprit sinueux sans cesse torturé entre les deux antipodes, inapte à supporter la tiédeur, ne tolérant que les morsures, qu'elles soient de gel ou de feu, réelles ou métaphores. Mais ce soir plus encore, elle brûlait de sentir les flammes lécher le ciel et fondre sur leur passage les afflictions passées, quitte à en créer de nouvelles pour mieux nous consumer.

La ripaille en elle-même aurait du la tourmenter, elle n'y avait après tout assisté que deux fois au cours de sa courte existence. Mais les souvenirs étaient dans son esprit aussi limpides que l'eau qui, lasse d'emporter dans sa course effrénée les dépouilles des marins qu'elle faisait chavirer, était venue s'écraser sous ses yeux contre les parois rocheuses de cette crique, qui semblait nichée au beau milieu de l'Océan Atlantique. Bien sûr, la cérémonie avait d'ordinaire lieu sur la Mer d'Alboran, et le voyage en lui-même constituait une aventure mémorable. Il fallait s'éloigner de Grenade, arpenter les désertiques chemins qui menaient au Sud de l'Andalousie et s'époumoner dans la chaleur espagnole pour se faire entendre du quidam. Mais l'hispanique n'avait pu retourner sur les terres qui avaient autrefois été siennes, et plus encore, elle doutait de pouvoir convaincre ses invités de la suivre si loin.

Elle se rassurait : elle qui réclamait la tempête, l'Océan serait plus à même de la lui apporter, et les flammes seraient certainement plus amènes à s'élever si le zéphyr les y poussait. La saison n'était certes pas aux montées d'aquilon, mais la cérémonie se devait d'avoir lieu dans la chaleur exhalée par le souffle de l'été qui s'éteint. La Bretagne conviendrait, la Bretagne l'attirait. Les vagues y étaient les plus hautes, le ressac était fréquent et guidera la chrysalide pour se défaire du cocon étouffant de la vie que l'on voudrait passée. Le renouveau était, chez la brune, une obsession presque constante. La course à l'excès, la fuite des habitudes, la crainte de l'attachement. Pourtant l'événement en lui-même contredisait tous ces principes, il était supposé réunir les seules personnes qui comptaient et représentait le rituel auquel sa famille reniée s'était livrée depuis des générations. Lina elle même nierait, évidemment.

Trouver le berceau de ces célébrations n'avait pas été des plus difficile. La noiraude avait pris un plaisir certain à errer de nuit près de ces eaux qu'elle rêvait depuis toujours d'arpenter, la frêle silhouette n'avait eu aucun mal à se glisser entre les interstices de falaises qui dissimulaient toutes des trésors pareils à celui-ci. Non, l'arduité résidait en l'essence même de ces festivités : il lui avait fallu se procurer un navire. Et le prêt n'était évidemment pas envisageable. Elle aurait avec plaisir utilisé la barque d'Audric, tous les prétextes étant bons pour amener à sa destruction, mais l'effet en serait largement amoindri, et l'Ours n'aurait plus d'endroit pour recueillir les faibles proies féminines qui se prenaient dans ses filets.

S'il n'était pas nécessaire que le vaisseau soit en bon état -il était même préférable que son existence fut sur le point de prendre fin-, il fallait tout de même pouvoir le faire naviguer jusqu'ici. Pourtant, le miracle avait eu lieu. Elle n'avait pas eu l'occasion de choisir la crique, la crique s'était imposée à elle avec une force de conviction démesurée. Si les routes qui y menaient étaient capricieuses et instables, l'accès par la mer était, lui, des plus ouverts. La brindille s’était frayé un chemin entre les sinueuses traces des routes qui pouvaient autrefois avoir la prétention de se faire passer pour telles, et la carcasse échouée s’était dévoilée à ses yeux telle la huitième merveille du monde. La seule chose plus merveilleuse encore aux yeux de la louve que l’Océan lui-même était les navires qui donnaient aux hommes la ridicule impression de pouvoir le dompter. Et les voiles déchirées de celui qui lui faisait face à présent semblaient avides de rejoindre en volutes de fumée l’éther, que les mâts les retenant tentaient d’ores et déjà d’accrocher.

La noiraude n’était pas certaine des personnes en compagnie desquelles elle passerait sa soirée. Elle savait cependant qui ne viendrait pas. Le Jok’, qui malheureusement n’avait donné signe de vie depuis des semaines. Elle espérait secrètement qu’il avait rejoint les flammes auxquelles il aspirait et qu’il avait, dans sa chute, attiré le plus grand nombre. Elle aurait, dans le doute, pour lui aussi quelque chose à léguer au brasier ce soir. De sa liste d’invitations longue comme une allumette consumée, elle ne savait qui prendrait la peine de faire la route. Mais si elle ne l’avouerait jamais, leur présence à tous représentait plus encore que le symbole en lui-même.

(*On mettra le feu à l'océan
**J'étais l'allumette, tu étais la pierre.
Peut être avons-nous démarré ce feu
On s'est assis et on a regardé
Tout ce que l'on a brûlé sur ce bûcher.
Nous sommes nés sans rien
Et maintenant à coup sûr nous n'avons toujours rien.)

{Emi4218}

[Les jours précédents]

Elle avait lu et relu les mots sur le vélin. Une invitation… Elle n’en recevait jamais, elle n’avait pas d’amis. Ce qui l’avait le plus surprise était le nom inscrit en bas du message.
Il est vrai qu’elles ne s’étaient pas beaucoup vues, ni même parlées, mais Lina avait été la seule que la brune avait supporté lors de leur séjour Auvergnat. Elle avait apprécié son naturel, sa fraîcheur et le lien qui la liait à son frère, celui qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’avoir avec lui…

Mais elle hésitait, irait elle, n’irait elle pas ? C’était une charrette complète qui lui faudrait pour oublier les tourments du passé et regarder le tout brûler pour enfin pouvoir avancer. Un objet… Mais est ce que ça pouvait être plusieurs dans un ? Quitte à tourner la page, autant le faire complètement. Elle ne connaissait rien à ce genre de cérémonie, n’en avait même jamais entendu parler et ne savait pas réellement quel impact cela aurait sur son avenir.

Un autre message s’était joint au premier, une écriture grossière qu’elle n’avait lu qu’une fois et que pourtant elle reconnaîtrait entre mille. Audric y serait… Rien d’étonnant à cela, mais le revoir, être avec lui à nouveau lui décrocha un sourire et les battements de son cœur s’accélérèrent. Plus d’hésitation, elle irait.
Elle ne prit pas le temps de lui répondre, elle se mit à creuser. Un trou conséquent, dans cette terre sans cesse piétinée, tassée par le temps et les hommes. Elle seule savait ce que renfermaient les profondeurs de la glèbe…

Puis elle se mit en route, un linge autour du paquet qu’elle tenait précieusement et fermement. Plutôt volumineux, mais aucune taille n’était définie dans le courrier après tout… De plus, il représentait à lui seul plusieurs choses. C’était à croire qu’elle avait attendu ce moment toute sa vie, du moins la partie à effacer, que tout était écrit et destinés à être oublié.

Les mots dansaient devant les yeux de la brune. « Je t’attendrai à la frontière de la Bretagne ». Est-ce que seulement il s’était rendu compte que la frontière était vaste ? Comment allait-elle le retrouver ? Un feu… Mais un feu est un feu, qu’aurait-il de plus que celui du voyageur qui se pose pour cuire son lapin ?
Elle n’eut pas longtemps à se poser la question lorsqu’après de longues heures de marche, elle l’avait vu au loin. Pour sûr, elle ne pouvait pas le rater. Un nouveau sourire s’afficha sur son visage fatigué, le souvenir d’un feu de verger qu’elle avait allumé des années en arrière pour prévenir de son arrivée imminente. Elle avait toujours été fascinée par les flammes qui lentement léchaient le bois jusqu’à n’en laisser qu’un tas de cendre, à croire que c’était de famille…


[Au bord du monde]

Son frère à ses côtés, ils avaient longé la grève durant des heures qui devenaient presque interminables. Le soleil avait laissé sa place à l’obscurité et la fraîcheur de la nuit, les embruns fouettaient son visage en de douces claques âcres et salées, mais pas pour autant désagréables. De quoi se revigorer avant la cérémonie.
Son regard se posa immédiatement sur l’épave du bateau, qui servirait au renouveau de leurs vies, puis se déploya tout autour… Il semblait si minuscule face à l’immensité de l’océan et eux autour, encore plus petits.

Elle déposa son paquet au sol avant de les rejoindre dans leur observation de l’étendue qui s’offrait à eux. Elle n’osa pas prononcer un mot, de peur que la magie de l’instant ne s’évanouisse en même temps que le silence. Elle glissa son bras sous celui de son frère et telle une statue, profita de ce moment de plénitude.


J'aimerais ne jamais avoir à te quitter, mon frère...

{Enjoy}

Les nuages grisonnants s'appesantissent en sanglots et inondent les vallons enrhumés. Au sortir de ce grand bain atmosphérique, les fougères égouttent leur chevelure aux mèches sinoples, les buissons frisottent tandis que les conifères s'hérissent et conservent leurs racines au sec. Le plafond de brume écrase le sol faisant ployer sous l'humidité les chaumières disséminées sur les rares plateaux de ce relief escarpé. Au milieu d'un sentier gorgé d'eau, un cheval alezan avance péniblement. Ses sabots s'enfoncent tantôt dans des flaques, tantôt s'usent contre des tapis rocailleux. Les muscles puissants de l'animal roulent et s'ébauchent derrière sa robe rousse maculée de boue. Il arrive que l'équidé trébuche au moment d'arpenter les plus grandes difficultés du dénivelé puis se dandine dans les descentes. Une main conquérante agrippe avec force la longue crinière empêchant de probables chutes à la cavalière.

Une jeune femme vêtue d'un tartan, à l'honneur d'un passé révolu, supporte la noirceur de sa crinière nouée en une longue natte. Tandis que son visage essuie les gifles cinglantes du vent tout en s'affublant de peintures bleues. Ainsi tracées les formes longilignes suivent la courbure harmonieuse en partant du haut du front jusqu'au menton, se mêlant de contrastes entre des pigments plus ou moins foncés. Cet accoutrement atypique est un ultime hommage à tout un pan de ses origines oubliées. Elle les a omises pour la simple et bonne raison que son souhait eut été de les préserver, les éloigner, ne pas entacher de sang ce nom. Alors la lionne en a soufflé la maigre flammèche afin de ne se concentrer que sur une seule chose. Depuis une grande partie des siens, si ce n'est la totalité, ont rejoint leurs aïeux ou ont été déclarés disparus. Encore une fois comme une ritournelle entêtante recrachée par un barde à la voix éraillée, les notes du regret s'entonnent et se posent là. Là avec son air puant la suffisance et qui la nargue de nouveau. Maintes fois, ils se sont rencontrés et se sont défiés mutuellement à croire que leur relation suit celles d'amants.

Doucement, les lieues s'encombrent dans son sillage chargé des exhalations blanches de sa monture et des heures qui agonisent. La cadence des pas sur ces terres dévastées bat à la mesure des larmes de l'Automne. Étrangement les intempéries n'ont pas submergé le royaume de la flore s'étalant au cœur du territoire breton ou alors ce fut le cas bien plus tôt dans la journée. Ceci expliquerait donc les résidus cotonneux qui s'étirent à l'horizon en s'agrémentant d'irisation. Passant du rouge à l'orangé tout en nuance de jaune sur fond d'azur. Le hasard aidant, le ciel s'obscurcit au moment où le point de rendez vous apparaît au loin. Peu à peu le fossé la séparant de son but n'ait plus, les embruns viennent chatouiller ses narines et elle s’attarde à humer toute l'étendue des senteurs retrouvées. Et comme la relique du bateau convoité, son regard sombre vogue sur les trombines. Voici celle de l'Ours à la barbe parfaitement soignée et le sourire quasiment au bord des lèvres. A son bras se tient une inconnue perdue dans sa contemplation et tout près l'Andalouve se faisait l'instigatrice d'une réunion assez particulière.

Avant que le firmament ne succombe à l'appétence crépusculaire, les prunelles se noient au sein de cet immensité. Puis s'accrochent sur l'explosion poudreuse se produisant lorsque les berges encaissent les interminables assauts de la cavalcade saline. Avec, s'en suit un bruit sourd presque étouffé puisant ses gammes parmi les sons en F. Faible flamme pour le fanal qui ne fanfaronne pas auprès de la fanfare de falun qui féconde les fonds marins. Parfois à la faveur d'une accalmie des losanges d'écume ondulent sur les vagues avant de se séparer comme le feront les personnes présentes avec les biens d'un Hier douloureux. Il était temps de tirer un trait. Mais la Corleone accumule tant de souffrances qu'elle devrait embraser une armada entière pour soulager sa conscience. Auprès des autres souvenirs, un pendentif attendait patiemment de partir en fumées, il ne lui restait que quelques minutes à vivre entre les doigts d'une italienne encore plus silencieuse que d'habitude.